02/04/2014

Découvrir l'intérêt des tests utilisateurs...

... ou lorsque la poule découvre l'oeuf

Dans un article paru dans le N° 1 de la revue DOCUMENTALISTE - Sciences de l'information,
on trouve un article "Communication et rédaction technique : test et oralité."

Oralité et documentation technique
Comme l'oralité en documentation technique relève du mystère, on poursuit la lecture.
"Les cursus devraient ...proposer des enseignements sur la collecte d'informations auprès d'utilisateurs réels, la gestion des réunions de suivi, la gestion des conflits, l'organisation de tests, etc."
Si l'on entend "cursus" par "cursus universitaire", on ne peut que s'étonner d'une telle assertion. Nombreuses sont les universités françaises qui n'ont pas attendu 2014 -et le papier de l'auteur- pour enseigner l'art du "usability testing".

Assertion particulièrement odieuse lorsque l'on sait que la formation Master 2 Spécialisation Rédaction-Communication de l'Université de Haute-Bretagne organise, non seulement des tests utilisateurs pendant les cours, mais effectue, avec les étudiants, des tests de suivi oculaire.

Qualité des documents
"La qualité des documents que nous avons produits n'a, quant à elle, pas toujours évolué positivement,alors même ...que les formations confirment que c'est la bonne manière de procéder... mais sans toujours expliquer comment y parvenir concrètement."
indique l'auteur.



 Effectivement, lorsque l'on vit depuis 20 ans dans une grotte de l'Oural septentrional, on n'a pas accès aux publications sur le métier. 
Par exemple, l'article "Evaluer l'efficacité des documents techniques procéduraux : un panorama des méthodes" dans lequel on parle d' "évaluation centrée sur l'utilisateur...réalisée à partir d'un échantillon d'utilisateurs provenant du public-cible" . Cet article date de 2002 !

Les enseignants, les rédacteurs ne savent pas  "expliquer comment y parvenir concrètement." ?

Pourtant, le Prof. Franck Ganier -qui, lui, a de la méthode- précise :

"Les méthodes  basées sur l'implication d'utilisateurs dans l'évaluation sont destinées à vérifier si les caractéristiques du document sont suffisamment adaptées aux caractéristiques perceptives et cognitives des utilisateurs impliqués dans la recherche ou la compréhension des informations..."

De même, Franck Ganier indique, dans son article "De l'analyse des fonctionnements cognitifs à l'ergonomie des aides opératoires" (janvier 2002) :

"Sur le plan ergonomique, l’utilisation de ce modèle comme support à la conception de documents a permis de réaliser des documents procéduraux plus performants en termes d'aide opératoire, tant au niveau de la recherche d'informations qu'au niveau de leur lecture / utilisation."

Ainsi donc, les formateurs sont bien capables de fournir des méthodes, basées sur des tests utilisateurs, pour améliorer la qualité de la documentation produite... et ceci depuis des décennies !

Processus centré sur les tests
Dans certaines parties de France, le temps s'est arrêté. L'auteur pose -en 2014- ainsi la question :
"N'est-il pas temps que les désormais nommés "communicateurs techniques" s'attaquent à ce problème de communication pour le résoudre en mettant en place ce qui est nécessaire et indispensable : un processus centré sur le test ?"
Mais savez-vous, cher gloseur, que le manuel "A practical guide to usability testing" (Joseph S. Dumas et Janice C. Redish) a été publié en 1993 ?... il y a 20 ANS ! et que ce manuel est fortement recommandé dans les formations à la rédaction technique ???  
Des générations entières de rédacteurs techniques ont appris à faire des tests auprès de leurs utilisateurs AVANT votre publication de 2014 !

En disant
 "C'est pourquoi le test s'avère incontournable pour contrôler que (sic) le résultat théorique attendu est bien obtenu en réalité... mais ceci de manière systématique, en l'intégrant au processus"
 l'auteur enfonce des portes ouvertes. Tout ceci a été étudié et documenté bien plus sérieusement dans le recueil "Comprendre la documentation technique" (Ed. PUF, 2013)

Question oralité... on reste bouche bée
"Il me semble indispensable de mettre l'accent sur les compétences orales des futurs rédacteurs...  L'aisance à l'oral est malheureusement la grande oubliée"


Voilà encore une belle assertion ! 

Dans les bonnes formations à la rédaction technique, on travaille avec un manuel -qui a échappé à la sagacité de l'auteur de l'article- et qui date de 1998 : "User and Task Analysis for Interface Design" (JoAnn Hackos et Janice Redish). 
Dans son chapitre 6, on lit "Interviewing users and others".

De plus, pour les personnes qui ne sont pas en décalage horaire et temporel permanent : un manuel dédié à l'interview d'utilisateurs a été publié en 2013. "Interviewing Users - How to uncover compelling insights". Auteur Steve Portigal, éditeur : Rosenfeld.

Extraits :
 "User Insight in the Design Process",  "When to use interviewing", "The Impact of interviewing", "More than just asking questions", etc.

Pensez-vous qu'avec tout cela, on ne saurait pas vraiment interviewer un utilisateur ?

Alors, en matière de tests et d'utilisabilité, tout a été dit, analysé, discuté. Pourquoi tenter de  (mal) ré-inventer la roue ?

Quels tests ?

Ce qui est particulièrement décoiffant dans cet article, c'est l'imprécision : il est question de test, mais de quels tests ? Tests de résistance ? Tests d'orthographe ? Tests de lisibilité ?...
Les véritables professionnels appellent cela des _tests d'utilisabilité_ ("usability tests").

Les champions du domaine, outre les auteurs cités, sont Jakob Nielsen et, plus récemment, Gerry McGovern. Aucun d'entre eux n'est cité dans l'article... ce qui dénote un sérieux manque de professionnalisme.


Minimalisme et tests d'utilisabilité ?

Et bien oui, après un premier jet d'un guide utilisateur, on procède à des tests d'utilisabilité en sélectionnant des utilisateurs lambda à qui l'on confie une tâche précise. En suivant le manuel, ils doivent être en mesure d'obtenir le résultat escompté. Si l'utilisateur trébuche, le rédacteur a mal fait son travail... that's all!

Ceci est documenté dans l'article de Stephanie Rosenbaum "Follow-up on Training in Minimalism" (in Minimalism beyond the Nurnberg Funnel) où elle parle de "conducting usability testing prior to release", "talking to users before and after instituded minimalist documentation" ou "sending out 100 user surveys".


Norme ISO 26 514 et les "Usability tests"

Délibérément, l'auteur décide d'ignorer tous les travaux de recherche dans le domaine des tests et de l'art d'interviewer les utilisateurs. C'est son choix.

Mais pousser l'outrecuidance à ignorer la norme ISO 26 514 "Ingénierie du logiciel et des systèmes - Exigences pur les concepteurs et les développeurs de la documentation de l'utilisateur" qui, au point 8.3.2, sous "Usability tests" indique :

"User tests are the most acceptable method of checking that the information provided in the documentation is what users need..."

cela frôle l'incompétence ! Notons par ailleurs que cette norme date de 2008 et qu'elle constitue, dans plusieurs universités françaises (*), le "bréviaire" de la rédaction technique.

Alors, on sort de sa grotte, on délaisse le nombrilisme et l'on regarde hors de son périmètre ... en commençant par faire un tour dans une bonne bibliothèque ?


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(*) Université de Bretagne Occidentale, Université de Haute-Bretagne, Université Catholique de l'Ouest, entre autres...



20/03/2014

Jeter aux orties les Vues d'ensemble et Introductions ?

Savez-vous ce que pensent les utilisateurs de vos sections "Vue d'ensemble", "Généralités" ou "Introduction" ?

RIEN ! Ils négligent, ils rejettent, ils ignorent... Ils ne lisent PAS toutes ces formes de préambules (les ingrats !)

Alors, pourquoi les inclure ? Pourquoi obliger les utilisateurs à feuilleter une dizaine de pages avant d'arriver à l'essentiel : "comment faire pour..."

Voici ce qu'en pense notre collègue Larry Kunz (extrait d'un message sur Twitter) :



Alors, si le consommateur n'a pas besoin d'une Vue d'Ensemble avant de commander une bière, est-ce que l'utilisateur a besoin d'une introduction avant d'utiliser le produit ?


Superfétatoire, l'introduction ?

Voici un exemple d'une introduction superfétatoire (il s'agit d'un manuel utilisateur d'un logiciel de création documentaire) :
Introduction
Ce guide est la documentation de la chaîne éditoriale XYZ. Elle regroupe :

  • Une introduction sur les fonctionnalité de XYZ et l'apport d'une chaîne éditoriale dans la rédaction des documents d'aide utilisateur d'un logiciel
  • Une présentation de l'interface utilisateur d'XYZ
  • Les procédures fondamentales d'utilisation de l'application
Donc, l'utilisateur a fait l'acquisition du produit XYZ. Normalement, à ce stade, il sait ce qu'il a acheté et a une certaine connaissance de ce qu'il peut faire avec ce produit. Avec le logiciel XYZ, il ne va pas chercher à faire du café ni à démontrer l'universalité de la théorie de la relativité...

Alors que le titre du manuel est "Documentation utilisateur de XYZ", est-il nécessaire de rappeler en page 8 : "Ce guide est la documentation utilisateur de..."

En introduction, on explique ensuite que, dans le manuel, il y a une introduction sur les fonctionnalités...  Introduction seulement ? Et le coeur des fonctionnalités, il est où ?


Présentation ... pour quoi faire ?

Après l'introduction à l'introduction, nous avons la  Présentation ... non pas du logiciel,
mais de l'interface. Intéressant. L'utilisateur a déjà l'écran en face de lui et maintenant on lui explique ce qu'il a devant les yeux. "L'option IMPRIMER sert à imprimer", "L'option EDITER sert à éditer", etc.

Sachant que les PC grand public sont arrivés en Europe dans les années '90, on est tenté de croire que, depuis le temps, l'utilisateur a assimilé les bases d'un travail avec l'interface.

Voyez ce qu'en pensent les spécialistes de l'ergonomie des interfaces graphiques :



Pour terminer, nous découvrons (enfin !) les procédures fondamentales (question de la béotienne que je suis  : quand elles ne sont pas fondamentales, les procédures, que sont-elles ?...et là, l'utilisateur est ébahi : dans un manuel utilisateur il trouve des PROCEDURES ! Quel bonheur !... c'est ce qu'il recherche depuis 15 minutes !


Le titre ...

Tout aussi édifiant, parfois, est le titre.

Ce grand industriel allemand, fabricant d'antennes de transmission sans fil par micro-ondes
(WiMAXindique, en titre de son guide :"Safety precautions for User Guide". Oui, vous avez bien lu : "Précautions de sécurité pour le guide utilisateur".

... nous les professionnels de la rédaction le savons pertinemment : un manuel utilisateur est un OBJET DANGEREUX ! On ne peut travailler qu'avec moultes assurances-vie.

A votre avis, n'est-il pas temps de cesser de produire de l'information inutile et de revoir nos contenus ? 
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Le prochain atelier "Minimalisme : créer l'information dont on a vraiment besoin" aura lieu les 15-16 décembre 2014 à Vélizy (Paris) chez NMJ Services. Les inscriptions sont ouvertes !



12/03/2014

Booster l'efficacité de votre documentation !

Vous souhaitez actualiser, autour d'un café-palmiers, votre savoir-faire pour optimiser votre documentation produits en passant au minimalisme !


 Faites-le savoir !

Topic : au centre des discussions, le volume de la documentation, son coût, son utilité et le feedback de vos utilisateurs.

Avant-goût : la documentation minimaliste et structurée ne s'applique pas à votre domaine ? ... Jetez un oeil sur ces exemples :

- Transformation d'une documentation-fleuve en une documentation structurée 
- Passage d'une documentation romancée à une documentation minimaliste (enfin  !)


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Pour en parler, faites-nous signe !
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Vous n'avez pas besoin de passer votre documentation à la grille du minimalisme ? C'est ce que pensaient les rédacteurs du site nucléaire Three-Mile-Island.

Selon l'émission Planète Terre, dans la salle de contrôle du site nucléaire, au moment de la catastrophe et alors que tous les voyants étaient au rouge, les ingénieurs devaient lire un manuel de 150 pages ! ... malaise, vous avez dit malaise ?
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Le prochain atelier "Minimalisme : créer l'information dont on a vraiment besoin" aura lieu les 15-16 décembre 2014 à Vélizy (Paris) et se tiendra en français. Les inscriptions sont ouvertes !

07/03/2014

Minimalisme, qualité et lisibilité (...foutaises ?)

En parlant minimalisme, on entend souvent : c'est réduire la longueur des mots !


Et bien non, ce n'est absolument pas cela. Tous les mots, à partir du moment où ils sont compris et utilisés par l'utilisateur final sont utilisables dans une documentation technique.

En matière de longueur des mots, quelques esprits qui s'autorisent à penser pour les autres, nous recommandent l'emploi de tests de lisibilité pour mesurer la qualité de la documentation technique. Vous savez, les tests de Flesch-Kincaid, Fog, etc.

On dispose même d'outils disponibles en ligne qui "calculent" le taux de lisibilité d'un document. Amusant, non ? Pour la langue française, choisissez (sous "Method") l'option  Kandel & Moles.

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Malheureusement, ces petits joujoux ne résistent pas à un examen un peu approfondi

  En effet, les tests sont basés sur 2 critères : 
  • la longueur des phrases 
  • la longueur des mots. 

Plus le mot est long, plus il est considéré comme "difficile" à comprendre. Comme l'indique
le Prof. Franck Ganier :
"... plus les phrases sont longues et le vocabulaire complexe, moins le texte est "lisible"  .

Soit, mais en y regardant de plus près, selon  F. Ganier (*) :
"si l'on considère que ces formules ont été créées à l'origine pour déterminer le niveau de lecture correspondant  à des textes écrits pour des manuels scolaires, on peut s'interroger sur la pertinence et la validité de leur usage pour l'évaluation de documents techniques". 

Erreur d'aiguillage, donc. C'est applicable aux manuels scolaires et pas transposable en rédaction technique.


De plus, ces tests n'ont été conçus que pour la langue anglaise, qui a une bien autre structure que le français ! Le test de Kandel et Moles n'est qu'une (piètre) adaptation.

Par ailleurs, Ginny Redish, dans un article datant des années '80 (**)   descend en flammes la pertinence de ces tests :

"A formula that counts only sentence length and word length or familiarity of the words is not sensitive to the order of the words or the complexity of the grammar. Sentences with misplaced clauses, dangling participles, or misused words will score as well on a readability formula as sentences of equal length that have none of these problems".
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Gadgets ?

Nous voilà en présence de gadgets puisque ces "tests" ne tiennent compte que de la longueur des mots, mais pas de leur position dans la phrase...

In fine, prenons un exemple : le terme "excipients" doit être considéré comme simple à comprendre puisqu'il ne dépasse pas les 3 syllabes en français.  Par contre, le terme

"électrocardiogramme", qui en compte 6, sera estampillé _difficile_. Or, dans la réalité, demandez à un quidam ce qu'il entend par "excipients" et par "électrocardiogramme"...Ce n'est certainement pas le plus long qui pose problème !

Alors, en conclusion, on ne va pas inclure, dans notre projet d'évaluation de la qualité de la documentation minimaliste, de tests de lisibilité... sauf pour s'amuser.

Et l'on ne va pas passer notre temps à raccourcir les mots pour faire plaisir  à Messieurs Flesch et Kincaid !



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(*) "Evaluer l'efficacité des documents techniques procéduraux: un panorama des méthodes", PUF, Le Travail humain, 2002/1, Vol.65
(**) "Understanding the limitations of readability formulas", in IEEE Transactions on professional communication, 1981,vol. 2

Voir aussi: "Comprendre la documentation technique", Franck Ganier, Editions PUF